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Huile de lin ou huile de noix ?

Ceux qui ont répondu huile d'olive peuvent sortir, on ne plaisante pas avec ça... Non mais!

    Et pourquoi pas l'huile de tournesol tant qu'on y est !* Il ne s'agit pas de vinaigrette mais bien du type d'huile employé en peinture à l'huile pour les beaux arts. Car si on l'appelle peinture à l'huile c'est qu'elle est à base d'huile et pour la fabriquer sois même il faut savoir laquelle utiliser. Voici ce que dis J.-F.-L. Mérimée (1757-1836)  à ce propos, les huiles "...naturellement siccatives, peuvent, avec le temps, devenir solides comme les résines les plus sèches : telles sont les huiles de lin, de noix et de pavot, employées dans la peinture, à cause de leur qualité siccative."(1)

    Parmi toutes les huiles Mérimée en propose trois dont les propriétés correspondent aux besoins du peintre même s'il n'exclu pas que d'autres huiles (par exemple l'huile de carthame, d'oeillette,bouteille d'huile de ricin...) peuvent être employées, néanmoins, ces trois là sont les plus fréquemment citées par les techniciens de la peinture à l'huile.

Chaque huile à donc ses caractéristiques propres ce qui en détermine son utilisation.

    L'huile doit apporter à la peinture sa texture (viscosité), sa solidité à la lumière (entre autre le jaunissement) et surtout sa siccativité. Les huiles sont toutes assez proche au niveau de leur texture, diffèrent un peu pour la solidité face à la lumière et sont totalement différentes quant à leur siccativité. C'est donc ce dernier point qui détermine l'emploi d'une huile face à une autre.

Qu'est ce que la siccativité?

    C'est le "séchage" de l'huile, mais le mot séchage est impropre puisqu'il implique une évaporation, or il ne se produit pas d'évaporation lorsque l'huile passe de l'état liquide à celui de solide, mais une oxydation de l'huile avec l'air. C'est donc la couche superficielle qui se durcit en première privant l'huile du dessous d'oxygène et l'empêchant par la même occasion de continuer normalement sa siccativation. On a donc une peinture "sèche" au touché mais pas totalement en profondeur. L'huile du dessous perce de pores la pellicule superficielle pour obtenir l'oxygène nécessaire à son oxydation. Plus ce phénomène est long et plus le peintre rencontre de problèmes dans l'élaboration de son oeuvre. Voilà pourquoi il est important d'utiliser une huile siccative qui "sèche" à fond. En plus de ses prédispositions propres à la siccativité, l'huile peut-être rendue plus siccative en étant cuite avec des métaux siccativants.

Alors? Quelle huile pour ma sauce?

   Tous les textes anciens que j'ai eu l'occasion de lire sur le sujet sont unanimes pour désigner l'huile de noix comme étant la meilleure et l'huile de pavot (ou d'oeillette) la moins bonne (par rapport à celle de noix et de lin).
   Or chacun pourra remarquer que c'est l'huile de lin qui est disponible à la vente chez les détaillants en beaux arts et si vous leurs demandez de l'huile de noix c'est avec les yeux écarquillés qu'ils vous répondent... En approfondissant mes recherches, j'ai pu lire que des chimistes de certaines marques de produits en beaux arts la discréditent complètement pour l'utilisation en peinture, lui préférant l'huile de lin et ils utilisent l'huile de carthame ou d'oeillette (venant du pavot) pour le broyage...

   Pourtant les anciens, eux voyaient dans l'huile de noix la meilleure : "Les couleurs dans cette espèce de peinture sont toutes détrempées & broïées avec l'huile de noix, qui est secative de sa nature. On pourroit se servir d'huile de lin : mais comme elle est jaune & plus grasse que l'huile de noix, on ne l'emploïe que dans les impressions à cause qu'elle est meilleure marché" Philippe de La Hyre ou "On peut broyer les couleurs avec l'huile de noix ou de graine de lin (bien que celle de noix soit meilleure parce qu'elle jaunit moins)." Vasari, ou encore le propos de Watin : "Il faut employer par préférence l'huile de noix, qui devient plus belle à l'air que l'huile de lin, qui s'évapore et laisse la couleur devenir blanche comme si elle étoit employée en détrempe."*

   J'ai aussi noté lors de la découverte des "fresques afghanes" après la destruction des bouddhas de Bamiyan par les Talibans, quant à la composition de la peinture qu'"il
pourrait s’agir d’huile fabriquée à partir de noix ou de graines de pavot." (2) Ce qui est considéré comme le premier témoignage de peinture à l'huile comme procédé artistique utilise aussi l'huile de noix ou de pavot; ce n'est pas un hasard si ces huiles étaient employées, les peintres de la grotte de Bamiyan étaient expérimentés (la preuve 14 siècles après leurs oeuvres se sont conservées) comme le dit Mme Taniguchi : "Les différentes huiles utilisées pour les murs des cavernes nécessitaient une technique tellement élaborée que je pensais avoir à faire à un tableau de l'Italie médiévale du 14e ou 15e siècle".(3) A noter qu'elle ne pensait pas avoir à faire à un tableau contemporain...

   Claude Yvel qui a fait de gros efforts pour retrouver les pratiques anciennes préconise l'emploi de l'huile de noix, il l'utilise et constate une différence avec l'huile de lin. Voici donc un peintre contemporain arrivant aux mêmes résultats que les anciens, il souffle même une raison au "court-circuitage" de cette huile par les fabricants : "Au XXème siècle, l'huile d'oeillette, qui est peu colorée, fut choisie par les industriels (les peintres avaient alors tous abandonné le broyage), parce qu'elle est peu siccative et offre moins le risque de voir durcir la couleur dans les tubes."(4)
    En approfondissant mes lectures, une deuxième raison m'est apparue surtout sous forme d'interrogation (d'ailleurs valable pour d'autres produits), notre huile de noix est-elle la même que celle des anciens ? Car si Claude Yvel obtient des résultats similaires, il se fourni en huile fabriquée à l'ancienne... Ce qui n'est sûrement pas le cas de ceux qui la discrédite. François Perego développe une idée très pertinente : "Jamais la peinture à l'huile de P.P.Rubbens, d'A. Watteau ou de Vermeer ne seraient ce qu'elles sont si l'huile était seule et unique, toujours la même et sous la même forme, comme un composé chimique défini."(5)
   Donc même fabriquée selon la tradition, l'huile doit forcément être différente, c'est une évidence, nous n'auront jamais la même huile que Veermer qui lui même n'avait pas la même que Van Eyck...
   Ensuite, François Perego ajoute :"Aussi, au-delà de la qualité, la quantité d'huile introduite dans la peinture est importante : le Manuscrit de Marciana (XVIe siècle), précisait bien : "Broie la couleur avec l'huile de lin ou de noix aussi épaisse que tu peux, avec le moins d'huile possible[...].""(5)
    Voilà pourquoi tous les peintres ont dû peaufiner leur technique en fonction de leurs propres produits. A nous, de faire vivre cette huile en prenant compte des trouvailles des anciens, c'est dans les vieux plats qu'on fait les meilleures sauces...
  
                                                                                     

                                                           Christophe Eudeline.

* Voir réactions dans les commentaires ici
(1) De la peinture à l'huile ou des procédés matériels employés dans ce genre de peinture depuis Hubert et Jean Van-Eyck jusqu'à nos jours. (page 55)
(2) La face cachée des bouddhas de Bamiyan, Le journal du cnrs. Géraldine Véron.
(3)
Dans les grottes afghanes de Bamiyan, les premières peintures à l'huile, AFP. 26 janvier 2008.
(4)* Peindre à l'huile comme les maîtres, la technique du XVI au XVIII siècle. (page 17)
(5) Dictionnaire des matériaux du peintre, François Perego. (page 353)